Dans mon autre monde, celui de mon univers très cartésien, je passe pour une personne rigoureuse, organisée, compétente et une bonne manager (ou j’essaie de l’être). Toujours dans cet autre monde, je suis amenée à faire passer des entretiens d’embauche et je sais de manière précise ce que j’attends d’un candidat en fonction du poste à pourvoir, les prérequis indispensables pour qu’il puisse assurer pleinement les missions qui lui seront confiées et les compétences qui peuvent s’acquérir ou être complétées par la suite. J’ai moi-même, plusieurs fois au cours de ma vie professionnelle, passé des entretiens d’embauche. J’ai donc une idée assez précise de ce qu’il faut faire et ne pas faire, comment préparer son entretien pour l’optimiser. J’ai lu de multiples écrits sur la question et participé à plusieurs entraînements d’entretien d’embauche, soit en formation, soit en atelier pôle emploi. Bref, tout cela pour bien souligner le fait que je ne suis pas une débutante en la matière.
Et pourtant, je pourrais déprimer face au plus incroyable acte manqué que je viens de vivre.
Le weekend dernier, une alerte Indeed attire mon attention sur le type de poste que je recherche. Ce genre de profil de poste qui vous correspond totalement et dans lequel je me projette à 100 %, sûre de pouvoir l’assumer et de faire du bien autour de moi. À tel point que mes amis et mon Directeur, à qui j’en ai parlé, étaient tout autant que moi convaincus de la justesse de ma démarche, car je suis faite pour ce poste.
Enthousiaste j’envoie ma candidature et décroche un entretien dans la foulée, ce qui confirme ma position. Heureuse, je le prépare comme il se doit. Je fais des recherches sur l’entreprise, je pose mon argumentaire, je prépare des réponses aux questions que le directeur qui me reçoit pourrait me poser et je prépare mes propres questions. Je me sens donc prête pour la rencontre.
S’enchainent alors tous ces petits riens qui si je les avais écrits dans un de mes récits auraient été considérés comme invraisemblables et qui prouve une fois encore que la réalité dépasse souvent la fiction.
Le jour J j’arrive devant le bâtiment, après une heure de route en voiture. Il est 17 H 55, j’ai rendez-vous à 18 H. Une chance, une place de parking libre m’attend à 10 mètres de l’entrée. Il fait chaud, 30 degré. La journée a été longue et toute en sueur. Je sors de la voiture, enfile mon masque (protection COVID oblige) et me dirige vers l’entrée du bâtiment. Je n’ai même pas fait 20 pas que je me fais interpeller par un homme d’un certain âge qui cherche une boite aux lettres. Je souris, ravale mon stress et prends deux minutes pour trouver cette fichue boite aux lettres que nous ne trouvons pas. De dépit, l’homme s’en va, il est 18 H. Je passe le sas d’entrée pour atterrir dans un hall désert, toutes les portes sont fermées, dont celle vitrée du secrétariat. Un peu désorientée par l’absence d’âme qui vive, je toque à la porte sur laquelle est collée l’étiquette du directeur, au cas où ? Personne. Je reviens vers la porte du secrétariat où une pancarte de carton précise qu’en l’absence de la secrétaire, merci de monter au premier étage. Hochant les épaules, je suis les directives et je prends les escaliers direction le premier étage. Vide et portes fermées…
C’est un gag…
J’entends des voix venant du second étage. OK, je monte au second étage. Il fait chaud sous le masque et j’ai l’impression que la sueur me colle à la peau. J’arrive dans un nouveau hall, la porte d’un bureau ouvert. Yes ! Enfin quelqu’un, la fin de mon périple.
Que nenni. Après un rapide échange avec un monsieur assis derrière son bureau, étonné de me voir dans les locaux mais pas très inquiet de découvrir une inconnue circuler librement dans la maison, je redescends au rez-de-chaussée. Ben oui, Si M X m’a donné R.D.V à 18 H, il sera là à 18 H. Je dois donc l’attendre au rez-de-chaussée. Oui mais alors pourquoi sa secrétaire quand elle m’a donné le rendez-vous ne m’a pas précisé que s’il était un peu en retard je devais l’attendre dans le hall. Pourquoi ne m’a-t-elle prévenu qu’à cette heure-ci, il n’y aurait plus personne…
Bref, je redescends et, chouette je croise un homme pressé, les bras chargés, qui s’avère être mon R.D.V. Nous nous saluons à distance et il m’ouvre la porte d’une grande salle de réunion où je prends place pendant qu’il part poser ses affaires dans son bureau. Il est 18 H 20. J’ai chaud, je suis essoufflée sous mon masque, stressée par ces rebondissements. Nous parlons du poste de ma vie.
Enfin, l’entretien commence. Il est fermé, sur la réserve, les bras croisés.
« Parlez-moi de vous dans un premier temps et ensuite je vous parlerai du poste »
Bien, un début d’entretien assez banal. Seulement, je commence à me présenter à l’envers de ce que j’avais préparé, débutant par ma conclusion. J’essaie de me rattraper, sauf qu’avec mon masque j’ai de la buée sur les lunettes et je suis bien plus nerveuse que d’habitude, totalement déconcentrée par la dizaine de minutes précédentes. Ce n’est pas toujours facile de rester zen lorsque c’est son propre avenir qui est en jeu, même pour des personnes d’expériences. Il me propose d’enlever mon masque et mes lunettes. Nous sommes suffisamment éloignés l’un de l’autre pour nous le permettre et soulagée je le remercie. Je retire mon masque, mais je garde mes lunettes sur le nez. Ce sont mes lunettes de vue, sans elles je n’y vois rien, donc je ne comprends pas pourquoi je devrais les enlever. Je reprends contenance et nous entamons un réel dialogue. Mais je n’arrive pas à installer ce climat de confiance nécessaire à un entretien réussi. Je vois qu’il voudrait, il s’ouvre, répond à mes questions, semble intéressé pour ensuite se refermer sur lui-même, les bras croisés.
Tout l’entretien se passera sous ces signes contradictoires.
Nous nous quittons au bout d’une bonne heure et quart et je suis malheureuse car je sais qu’il y a quelque chose qui m’a échappé et je ne sais pas quoi. Je monte dans ma voiture et comme j’ai le soleil en face de moi je récupère mon étui à lunettes pour enfiler mes lunettes de soleil.
Ces lunettes de soleil que j’avais gardé sur le nez pendant tout mon entretien d’embauche. 😯
Sur le coup, j’ai eu envie de pleurer, puis d’éclater de rire. Pas étonnant qu’il soit resté sur sa réserve.
Je venais de passer l’entretien de ma future vie avec mes lunettes de soleil sur le nez (lunettes de vue, je précise, que j’avais enfilées pour prendre la route à 17 H), sans jamais réaliser que l’homme en face de moi ne me voyait pas. Affreusement confuse de ma bévue, je retourne le voir pour m’excuser et lui permettre de voir mon visage. Je lui souris, il me sourit, mais je sens que je suis passée à côté de quelque chose d’important et cela m’afflige. Je retourne à ma voiture, la mort dans l’âme.
Y a t’il une morale à cette histoire ?
Je ne sais pas.
Elle m’aura donnée l’occasion de vous écrire ces quelques mots et d’en tirer une jolie leçon. Nous avons beau être préparés, quelquefois, il faut faire avec les circonstances, même si tout se ligue contre vous.
Soit, je passerai pour une incroyable originale,
Soit, pour une tête en l’air,
Soit, rien.
En tout cas, si je suis prise, ce ne sera que pour mes compétences, pas de discrimination à l’embauche, car finalement, comme il ne voyait pas mon visage, ni mes expressions, il ne pourra que s’appuyer sur les différents exemples que je lui ai fournis tout le long de l’entretien, l’intérêt que je ressens pour le poste et mon argumentation pour lui démontrer que j’étais celle qui lui fallait.
Si je ne suis pas prise, je ne saurais jamais si c’est parce que je n’ai pas le profil du poste ou si passer un entretien avec des lunettes de soleil sur le nez fait irrémédiablement parti des choses à ne pas faire … 😉
Advienne ce qu’il doit advenir, le sort en est jeté.
D’un autre côté, comment aurais-je réagi si à la place du recruteur, une personne s’était présentée avec ses lunettes de soleil sur le nez et à qui j’aurais proposé de les retirer…
Un vrai cas d’école, vous ne trouvez pas ?
Allez la vie continue
Je vous tiendrai au courant
À bientôt.